Je ne suis pas un artiste « professionnel » car je n’ai pas consacré toute ma vie à cette activité (études puis travail à temps plein). En Martinique très peu d’artistes sont des pros et peuvent vivre de leur art. La communauté des artistes pros, émergents et amateurs est vivante et sympathique cependant quelques artistes se considèrent supérieurs et ont tendances à mépriser les artistes de mon niveau. Voici l’exemple le plus marquant :
Alexandre philippe itouloulou@yahoo.fr 28 févr 2012
Tu n'es pas un artiste...et tu ne me respecte pas, tu ne respecte pas mon travail et mon engagement, tu es à la recherche d'une chose qui n'a rien à voir avec l'art ou la création, tu nous fais énormément de mal..(comme beaucoup tro d'autre) plus que tu ne peux le concevoir, tu t'amuses....pas moi, pas nous...est-il utile de te demander d'y réfléchir quelques secondes ? j'en doute....
Merci d'éffacer mon adresse mail...et d'arréter de m'envoyer ces messages bidons....aujourd'hui, je, nous, en avons assez des gens qui jouent à être des artistes en martinique...parcequ'ils ont un désir de reconnaissance mégalomaniaque ou parceque c'est tellement facile...aujourd'hui je te dis très sérieusement et au nom de beaucoup d'entre nous : ça suffit ! Respecte nous ! Respecte nos années de reflexion de sincérité et d'étude. Tout ne se vaut pas....Nous allons reprendre la place qui nous est due (sans doute pas en Martinique). Je nie l'idée même que tu ai une démarche artistique (quelle prétention !).
Philippe Louis Alexandre
M. Alexandre me demandant de « réfléchir quelques secondes » sur ma condition d’artiste, voici donc ma réponse.
Tout d’abord je lui ferais remarquer qu’il est trop facile d’être à la foi juge et partie. Son discours serait plus crédible si il n’était pas directement impliqué, si il avait vraiment un référentiel externe mais tel n’est pas le cas. Nous avons participé ensemble à l’exposition « Catastrophes » à la Bibliothèque Schoelcher en 2011 et visiblement quelque chose lui à déplut mais il ne le mentionne pas directement. A la place il se contente d’une attaque directe sur ma personnalité et non sur mon travail. Mais bon passons sur cela et analysons ses propos.
Selon M. Alexandre pour être un artiste il faudrait semble t’il avoir des » années de réflexion de sincérité et d’étude « . Autrement dis, seul les artistes professionnels ayant fait une école des Beaux Arts peuvent utiliser le titre d’Artiste, tel les Médecins, les Avocats ou les Ingénieurs. Il semble ignorer que cette vision moyenâgeuse de la profession d’artiste a été abolie en 1571 par un décret pris par Côme de Médicis exemptant les peintres et sculpteurs florentins d’appartenir à une corporation (1). Beaucoup plus récemment, L’Unesco a proposée une définition de l’artiste (adoptée à Belgrade, le 27 octobre 1980) (2) : « On entend par artiste tout personne qui crée ou participe par son interprétation à la création ou à la recréation d’œuvres d’art, qui considère sa création artistique comme un élément essentiel de sa vie, qui ainsi contribue au développement de l’art et de la culture, et qui est reconnue ou cherche à être reconnue en tant qu’artiste, qu’elle soit liée ou non par une relation de travail ou d’association quelconque. » Donc désolé de vous contredire M. Alexandre, je suis bien un artiste tout comme vous.
Ensuite M. Alexandre développe l’idée que les « gens qui jouent à être des artistes » (les artistes amateurs) causent un préjudice majeur aux artistes pros dont il fait partie. Il ne précise pas vraiment la nature du préjudice mais sa solution est de « reprendre la place qui nous est due« . Cela semble impliquer que les artistes amateurs peuvent à la rigueur s’amuser dans leur coin (faire de la création) mais ne doivent pas en sortir et exposer (faire de la monstration) car ils prennent la place des pros. M. Alexandre sous entends que les espaces d’expositions soient strictement réservés aux artistes pros mais il ne précise pas si cela s’applique uniquement à la sphère publique (tel la Bibliothèque Schoelcher) ou également à la sphère privée (Fondations privées, Galeries privées, restaurants, etc..). Si tel était le cas pour la sphère privée, nous serions sous un régime totalitaire ou la liberté d’expression serait gravement bafouée. Concernant la sphère public, nul doute que les curateurs se penchent sur le parcours des artistes avant de les accepter et qu’il est plus facile d’être accepter lorsque l’on a fait une École des Beaux Arts que lorsque l’on est un autodidacte. Cependant la encore, l’imposition de l’appartenance à une éventuelle « Guilde des Artistes Pros » serait une sérieuse atteinte à la liberté de décision des curateurs. L’artiste et son parcours serait donc plus important que l’œuvre ? Des artistes comme le Douanier Rousseau ou Toulouse Lautrec ne devrait en aucun cas être exposés dans des lieux publics ? Permettez moi M. Alexandre de ne pas partager votre pensée réactionnaire et totalitaire.
Pour conclure, n’en déplaise à M. Alexandre, je n’ai aucune gène à être un artiste émergeant qui essaye de se faire une place au soleil. Je n’ai eu ni la chance ni la volonté de consacrer ma vie entière exclusivement à ma démarche artistique et j’ai peut être un « handicap » par rapport aux artistes professionnels. Que cet handicap me ferme des portes sur des critères esthétiques, vu la qualité de mon travail par rapport à celui de grand Maître comme M. Alexandre, je peut à la rigueur l’admettre. Mais qu’il y ait un blocage sur des critères corporatistes et donc élitistes, je m’y oppose vigoureusement.
A bon entendeur, salut.
Olivier Moreau
Case Pilote le 1 mars 2012.
1 cf. Nikolaus Pevsner, Les académies d’art, Paris, 1999 (1re éd. 1940), p. 62.
2 Section I.1 : Définition, p. 24. En pdf sur le site de l’Unesco. Voir aussi la déclaration finale du Congrès mondial sur l’application de la Recommandation relative à la condition de l’artiste, Paris, 1997).